De même qu’Austerlitz, sitôt posés nos bagages à l’hôtel sur l’île de Kampa — qui est nous dira-t-on plus tard est à Prague l’équivalent d’une île Saint-Louis — nous rejoignons la Karmelitska où sont supposées se trouver les archives nationales et où Jacques Austerlitz imagine pouvoir retrouver trace de ses origines et de son nom. Le lieu existe bel et bien, mais il a été aujourd’hui réaménager en un musée de la musique et n’est malheureusement pas ouvert au public le mardi. Nous tentons d’y jeter toutefois un bref coup d’œil, espérant y reconnaître la photographie de la page 173 (p.200 de l’édition de poche), mais sommes illico refoulés par le gardien du lieu, ou je ne sais qui, dont la conscience professionnelle est toute grande et la satisfaction aussi de foutre dehors deux touristes inopportuns.
Quelques mètres plus loin, de retour sur nos pas, nous entrons dans la boutique d’un bouquiniste, encombrée sombrement de livres depuis le sol jusqu’au sommet des étagères, d’ouvrages dans différentes langues dont quelques uns en français parmi lesquels je trouve dans une édition reliée de 1924, la correspondance amoureuse d’Edgar-Allan Poe et de Sarah Helen Withman.
Il me vient alors l’intuition, à farfouiller parmi ces livres et ces cartes postales, qu’à Prague nous allons nous heurter à la fiction proprement dite d’Austerlitz, à l’invention littéraire mise en place par Sebald, comme ce fut le cas à Bala où nous n’avions trouvé nulle trace de la maison d’enfance du personnage, nulle trace de prédicateur du nom d’Emyr Elias. J’ai l’intuition alors qu’au cours de ce voyage, il nous faudra, nous aussi, cultiver cette part de fiction, et n’avoir peur d’ajouter ce qui nous semblera pouvoir alimenter une histoire d’Austerlitz. Ainsi, miraculeusement, parmi d’autres documents, livrets d’épargne, cartes d’identité, je trouve un vieux passeport datant des années 1937-1938 qui porte, sur certaines pages, les tampons du 3ème Reich et bien distinctement la croix gammée.
Nous collectons quelques photographies de visages dont le regard nous retient ou quelque chose dans l’attitude générale de la personne, le port de tête, une élégance, et dont on pourrait croire qu’il fut un proche, un parent de celui qui devient peu à peu notre personnage. Parmi les livres d’histoire, je trouve un ouvrage sur Terezin contenant des documents visuels et un second regroupant les photographies de Prague que Karla Plicky a réalisé entre 1939 et 1940 et qui furent publiées dans la présente édition sous l’occupation soviétique, en 1948. On y trouve les vues d’un Prague pittoresque, les palais Waldstein et Lobkowicz, les jardins fleuris aux printemps tels que les décrit Austerlitz, des rues désertes, d’anciennes automobiles. Le papier est épais et les photographies ont été reproduites avec un procédé qui les rend incroyablement lumineuses, presque métalliques.
Dans les rues de Prague, nous remarquons à plusieurs reprises des inscriptions sur certaines portes et sur certains volets qui nous laissent interrogatifs et que nous ne parvenons pas à décrypter. Trois lettres et un chiffre —dont on perçoit seul aisément qu’il s’agit de l’année en cours : K+M+B = 2011
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