Tuesday, January 25, 2011

Rue Sporkova

Toujours dans le quartier de la Mala Stràna où semblent se concentrer les événements pragois du livre de Sebald, nous gagnons le 12 de la rue Sporkova. Des voitures garées devant l’entrée ne nous permettent pas de réaliser les photographies que nous souhaitons. Peu convaincu, je sonne tout de même à l’interphone. Une voix féminine me répond mais qui ne parle ni anglais, ni français, ni italien . J’insiste quelque peu pour tenter de faire ouvrir cette porte et au bout d’un moment apparaît une nonne en tunique blanche. Elle semble timide, recroquevillée derrière de lourdes lunettes, les mains cachées sous les plis des manches, et notre visite l’embarrasse réellement. Je me souviens alors qu’à Bala, en août dernier, on prenait Pierre pour le Christ, avec ses cheveux hirsutes et sa barbe courte. Peut-être est-ce cela qui la trouble ?… 

Finalement, nous apprenons que nous sommes là dans un couvent de nones de l’ordre bien restreint de Saint-Charles de Borromeo, et après négociations, et avec l’aide du gardien qui s’avère parler quelques mots d’un français télégraphique — pour la raison qu’en sa jeunesse il fit un voyage à Paris—, nous visitons, sous une surveillance bienveillante, les bâtiments du couvent. Mais il s’avère vite qu’il n’y a là nulle indice laissant à croire que l’escalier que Sebald mentionne à la page 182 (p.211), et la rosace au sol, se trouvent bien ici comme il l’écrit dans le livre. De retour dans la rue, nous restons un temps dans les environs à tenter d’élucider, de spéculations en hasardeuses spéculations, le mystère de cette cage d’escalier. L’ambassade d’Allemagne, se trouvant au bout de la rue, j’en viens à me persuader que l’escalier s’y trouve, que Sebald y aura été invité pour une quelconque lecture et qu’il aura trouvé belle l’une des montée, à l’intérieur du palais et l’aura photographiée, puis plus tard incluse dans son récit. 

Nous tentons de pénétrer dans le gigantesque bâtiment jaune, mais l’ambassade est déjà fermée et finalement nous abandonnons l’idée et rejoignons les jardins du séminaire, par les sentiers enneigés, sous les pins sombres, et des arbres rachitiques. Peu à peu, la lumière s’estompe autour de nous, les jardins plongent dans l’obscurité, de petites rangées de lampadaires s’éclairent en contrebas.

Prague : Karmelitska – jardins du séminaire

De même qu’Austerlitz, sitôt posés nos bagages à l’hôtel sur l’île de Kampa — qui est nous dira-t-on plus tard est à Prague l’équivalent d’une île Saint-Louis — nous rejoignons la Karmelitska où sont supposées se trouver les archives nationales et où Jacques Austerlitz imagine pouvoir retrouver trace de ses origines et de son nom. Le lieu existe bel et bien, mais il a été aujourd’hui réaménager en un musée de la musique et n’est malheureusement pas ouvert au public le mardi. Nous tentons d’y jeter toutefois un bref coup d’œil, espérant y reconnaître la photographie de la page 173 (p.200 de l’édition de poche), mais sommes illico refoulés par le gardien du lieu, ou je ne sais qui, dont la conscience professionnelle est toute grande et la satisfaction aussi de foutre dehors deux touristes inopportuns. 

Quelques mètres plus loin, de retour sur nos pas, nous entrons dans la boutique d’un bouquiniste, encombrée sombrement de livres depuis le sol jusqu’au sommet des étagères, d’ouvrages dans différentes langues dont quelques uns en français parmi lesquels je trouve dans une édition reliée de 1924, la correspondance amoureuse d’Edgar-Allan Poe et de Sarah Helen Withman.



Il me vient alors l’intuition, à farfouiller parmi ces livres et ces cartes postales, qu’à Prague nous allons nous heurter à la fiction proprement dite d’Austerlitz, à l’invention littéraire mise en place par Sebald, comme ce fut le cas à Bala où nous n’avions trouvé nulle trace de la maison d’enfance du personnage, nulle trace de prédicateur du nom d’Emyr Elias. J’ai l’intuition alors qu’au cours de ce voyage, il nous faudra, nous aussi, cultiver cette part de fiction, et n’avoir peur d’ajouter ce qui nous semblera pouvoir alimenter une histoire d’Austerlitz. Ainsi, miraculeusement, parmi d’autres documents, livrets d’épargne, cartes d’identité, je trouve un vieux passeport datant des années 1937-1938 qui porte, sur certaines pages, les tampons du 3ème Reich et bien distinctement la croix gammée. 



Nous collectons quelques photographies de visages dont le regard nous retient ou quelque chose dans l’attitude générale de la personne, le port de tête, une élégance, et dont on pourrait croire qu’il fut un proche, un parent de celui qui devient peu à peu notre personnage. Parmi les livres d’histoire, je trouve un ouvrage sur Terezin contenant des documents visuels et un second regroupant les photographies de Prague que Karla Plicky a réalisé entre 1939 et 1940 et qui furent publiées dans la présente édition sous l’occupation soviétique, en 1948. On y trouve les vues d’un Prague pittoresque, les palais Waldstein et Lobkowicz, les jardins fleuris aux printemps tels que les décrit Austerlitz, des rues désertes, d’anciennes automobiles. Le papier est épais et les photographies ont été reproduites avec un procédé qui les rend incroyablement lumineuses, presque métalliques.



Dans les rues de Prague, nous remarquons à plusieurs reprises des inscriptions sur certaines portes et sur certains volets qui nous laissent interrogatifs et que nous ne parvenons pas à décrypter. Trois lettres et un chiffre —dont on perçoit seul aisément qu’il s’agit de l’année en cours : K+M+B = 2011






Monday, January 24, 2011

Notes de voyage

Ce second voyage sur les traces de Jacques Austerlitz, nous amène à Prague, puis à Terezin. Lui-même l’aura effectué au printemps 1993, alors âgé d’environs soixante ans et c’est à ce moment qu’il dénoue le secret de son histoire, qu’il rencontre Vera Rysanovà, la femme qui fut sa nourrice autrefois et qui aujourd’hui reste la seule survivante de cette époque de son enfance. J’avais souhaité faire ce voyage en hiver et espéré la neige dans les rues de Prague ainsi décrites par Sebald ce matin de l’hiver 1941 où Agatà Austerlitzova traverse la ville, l’aube à peine levée.   

Sunday, August 29, 2010

Pennant Melangel

Avant de reprendre la route définitive vers Londres, puis le train pour Paris, nous décidons de faire un bref détour vers le hameau de Pennant Melangel qui est à peine mentionnée dans le livre mais dont le nom m’intrigue. Au bout d’une route étrange, envahi littéralement par des perdrix d’élevage et des faisans que nous manquons par mille fois d’écraser, nous gagnons la petite chapelle du village, St Melangell’Church. A l’intérieur, errant un peu, je trouve posée sur un lutrin et ouverte à la page du Cantique des cantiques, une grande bible aux pages lourdes et jaunes. Dans le silence de l’église, j’enregistre ce bruit de souffle et de frottement que font les pages lorsqu’on les tourne. Dehors la lumière est large dans le jardin de pierres. 




Lac de Vyrnwy, Llanwddyn puis Llangynog

Nous rejoignons le lac de Vyrnwy, lac artificiel qui doit son existence à la construction du barrage qui vit le jour entre 1886 et 1888. A lire les cartes routières, j’apprends qu’en gallois, lac se dit « llyn ».
Nous montons sur les hauteurs des rives, sur le site du Lake Vyrnwy Hotel qui est probablement l’un des plus beaux points de vue du lac et prenons là quelques photographies. Le ciel est à présent débarrassé de ses nuages. Nous rangeons définitivement notre parapluie qui n’aura servi à rien.
Plus tard, feuilletant le livre de Sebald, nous nous apercevons que nous avons pris l’exact réplique de la photographie p.310 (p.268), à cela près toutefois que le point de vue de la photographie de Sebald est légèrement plus élevé que le notre. Associé à cela le cadrage qui laisse voir un morceau de rambarde, nous en déduisons que la photographie a été prise depuis l’une des chambres de l’hôtel et que probablement Sebald y a passé quelques jours en villégiature.



Nous gagnons le barrage proprement dit qui fait également office de pont d’une rive à l’autre. Le jeune Daffyd y eut l’une des très rares conversations avec son père adoptif qui lui expliqua alors que sous les eaux se trouve aujourd’hui le village englouti de Llanwddyn d’où il fut lui-même originaire. Cette conversation dira plus tard Austerlitz, écrit Sebald, suscitera chez l’enfant qu’il fut des visions oniriques effrayantes :

« La nuit, avant de m’endormir dans ma chambre gelée, il me semblait que moi aussi j’avais été englouti par les eaux sombres, qu’il me fallait, comme les pauvres âmes de Wyrnwy, écarquiller les yeux pour apercevoir tout là-haut une faible lumière et, diffracté par les flots, le reflet troublé du clocher de pierre qui se dresse sur la rive couverte de forêt. » P 67 (p.77)

Dans la boutique de souvenir de Llanwddyn, errant un peu à la recherche de quoi ? je ne sais guère, je tombe par hasard sur une carte postale qui est l’exacte photographie de la page 66 (p.78) et qui représente une rue du village de Llanwddyn avant que celui-ci fut déplacé et recouvert par les eaux du barrage de Wyrnwy. Est-ce là quelques unes de ces âmes englouties auxquelles le livre de Sebald rend un hommage touchant et amer.




Arrivés à Llangynog, nous posons nos valises. Nous visionnons les rushs d’Hypothèse autour du grand amour, puis à la fenêtre de ma chambre, aux lueurs encore du jour déclive, je corrige les dernières épreuves de Gone. C’est le four, le moulin et la boulangerie…